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30 juin 2006

Variations sur l'inspiration

arton70Admettons que j’accède à votre demande, que je vous raconte une de ces histoires dont vous êtes friands et dont vous me réclamez à corps et à cri un dénouement moral ; admettons que je me laisse faire sans trop qu’on me presse, que je vous concocte ainsi un essai de ma composition, un texte inédit, une digression en apparence originale dont vous vous réjouirez de prime abord mais qui, lecture faisant, aux rythmes des phrases, des mots, des sentiments et des mensonges qu’il sera nécessaire que j’invente pour la circonstance, au vu et su de ce fatras fantaisiste dont il faudra bien que je reconnaisse la culpabilité, imaginons disais-je que cette hardiesse, que cette littérature, que cette monstruosité visionnaire mais tellement peu novatrice - j’ai une certaine tendance à me répéter et à écrire toujours un peu la même chose - que mon improbable déchirure, cette culpabilité à demi confiée, vous déçoive par le classique de sa trame, par la platitude de ses rebondissements, que ses aveux s’enchaînent avec imperfection, qu’ils sonnent mal d’un repentir forcé, qu’ils vous pèsent, qu’ils vous donnent subitement envie de grimper sur le parapet imaginaire d’une passerelle expiatoire pour vous précipiter vous aussi dans le vide, là où sans doute il sera plus aisé de vous redécouvrir, de vous ressourcer sur vos propres confessions ;

Supposons cela possible ! Supposons-le puisqu’il faut s’attendre à tout, puisqu’il ne faut rien négliger, puisqu’il est formellement nécessaire de se préparer à l’inconditionnel, puisqu’en fin de compte cela satisfait également ma propre vanité, celle de me savoir lu et aussitôt maudit, détesté comme tous les grands de ce monde - Oderint dum metuant !- que cela pourra vous encourager à pousser plus loin votre pérégrination à travers mes lignes, à faire ainsi de l’ordre du probable, de l’éventuellement admissible - bien que je me sente encore si vert, si peu mature - une réalité manifeste, la justification circonstanciée de votre empressement à me lire ou du moins à m’entendre écrire (vous l’avez deviné, de même que certains font de la philosophie aux rayons bricolage, j’aime donner à mes mots une certaine profondeur musicale. Je n’écris donc pas, je martèle des cadences).

En fin de compte nous venons de combiner le plus important. Le reste n’est plus qu’une question d’ordre personnel, un débat égoïste, une contradiction intime, et cela d’ailleurs ne vous regarde pas. Bien sûr, je pourrais vous en toucher deux ou quatre mots. Mais votre rôle, vous l’avez sans doute compris, était seulement de me solliciter, du moins de le feindre, pour que mon envie de vous adresser quelques lignes soit plus forte que celle de me taire, pour que naturellement, et parce que cela est évident, je ne reste pas accroché à la douleur de mes silences ou à celle de vos commentaires acerbes, pour qu’accessoirement je dilue un peu d’azur et de turquoise dans la grisaille estampillée de ma ligne harmonique. Quand on compose pour les autres, il faut pousser en effet sur les graves, accentuer les contre temps, donner dans un solfège différencié. On se contente généralement de beaucoup moins pour chantonner sous sa douche. C’est dire comme on se mouille quand on écrit pour la lecture des autres.

Ce dernier commentaire n’était pas franchement indispensable. Mais je n’ai pas résisté. Finalement vous vous en moquez bien. L’essentiel c’est le résultat, l’objectif avoué c’est bien votre satisfaction. Cette petite jouissance ressentie au point final, peut être dès la fin du premier chapitre, ce pincement au cœur qui s’il n’était écrit vous ferait défaillir - heureusement que les mots des autres vous préservent comme un certain recul - qui déjà vous fait transpirer, suer de toute votre âme, qui vous porte au-delà de ce que vous espériez, peut être simplement à l’oubli, à l’égarement d‘un instant, à une infime absence d’une fraction de microseconde en dehors du temps pourri dont on ne retiendrait, sans ce délicat intermède, que les sabliers mouvants d‘une perte de temps.

Oui cette remarque n’était pas utile mais elle est pourtant sacrément intransigeante. Toutes ces fioritures, ces adjectifs, ces trucs jetés en tas, par paquets de vingt-cinq, cette prose à bien y réfléchir, c’est une histoire d’évasion. La vôtre et la mienne, la vôtre certainement plus encore, car on a beau écrire on ne dit jamais véritablement tout, ou alors faut-il savoir rédiger entre les lignes. On reste prostré, là, dans sa petite prison de verre et l’on tente de s’en évader par le chas de son stylo. Écrire, c’est une éternelle histoire de pudeur à laquelle on se refuse avec obstination. On est prêt à tout, on se résout au pire, mais en fin de compte, on est toujours assez malveillant ou rusé, ou tout simplement pas assez habile, pour cacher encore l’essentiel, pour ne pas avouer en quelques vérités bien crachées ce qui transparaît derrière des enjoliveurs thématiques, des familles de métaphores ou d’oxymores récurrents. C’est un peu normal, avouons que cela est même souhaitable. À balancer trop crûment ses propres hésitations, à en décortiquer trop rapidement toute la misère et tous les paradigmes on court autant à notre propre mort - je vous ai trop dit que puis-je encore rajouter ?- qu’à celle de son lecteur qui veut croire que l’âme ne se livre pas aussi facilement - lui-même n’a-t-il pas ses zones obscures ! Alors quand on s’embastille volontairement, quand on s’évade aussi imparfaitement au point de se demander si finalement la liberté n’est pas finalement qu’une illusion, on reste prisonnier de son petit carcan minable. Mais on laisse au moins à son lecteur l’option de choisir ses pistes de liberté...

Puisque nous avons décidé d’un commun accord de raconter une histoire, essayons au préalable de comprendre de quoi nous allons réellement parler. C’est que sans doute vous pensez que les mots viennent comme cela - j’évoquais il y a peu, d’ailleurs, des paquets de vingt-cinq. Croyez-vous pourtant qu’ils se pressent, qu’ils battent de la semelle, que l’auteur est une sorte de moulinette, un triturateur de substantifs glanés au petit bonheur d’évidences qui jamais ne lui feraient défaut ? Pensez-vous qu’il est un mécanisme bien huilé qui absorbe et régurgite les couleurs du temps, les petites contrariétés de la veille, qu’il est un quai de gare où débarquent des trains d’images, des visions fulgurantes déboulant en convois de contrées lointaines, parfois même de paysages qui n’ont jamais existé et qui, c’est semble-t-il manifeste, symbolise ce besoin viscéral d’évasion - aviez-vous déjà oublié que depuis le début nous ne parlons en fait que d’évasion ?

La page blanche, la page désespérément arrogante, imbue de sa profondeur - le vide est une complexe alchimie d’un rien et d’un tout qui s’entrechoquent bruyamment - reflet de notre médiocrité, de nos petites existences inutiles qui se superposent, qui s’emboîtent telles des poupées gigognes, brillent parfois d’un éclat fugace, mais pas trop, juste un peu, juste pour nous rappeler l’imminence de notre part d’éternité, comment on devra la saisir au bond le moment venu, cette page inutile et pourtant tellement nécessaire, c’est la première peine dont il faut se livrer, c’est le premier cauchemar, une des certitudes préliminaires dont on se convint pour trouver une échappatoire à l’oubli, à l’ennui, à la fragilité tenace de l’instant présent et à venir.

Cette page, c’est un point de départ et c’est aussi un éternel recommencement. Imaginons un seul instant que l’histoire soit déjà écrite ; qu’au départ il n’y ait pas de vide, que la fin également ne s’achève pas en point d’interrogation. Qu’y aurait-il donc de si passionnant - j’entends par passion l’urgence, l’acuité que l’on manifeste à crier désespérément dans le vide pour tester un écho dont on attend, pour s’en amuser, le renvoi déformé de notre image, de nos propres beuglements - qui aurait-il donc de si vital à provoquer le convenu, le déterminé, le définitivement établi et certifié. Il y a nécessité d’écrire parce qu’il n’y a rien de permanent, rien d’évident, et pour qui veut se convaincre du contraire - on dénombre en fait de multiples pistes de lectures alors qu’il n’existe qu’un choix plus restreint d’écritures - persiste cette fâcheuse probabilité de s’en assurer avec chaque fois plus de force, dans la précision et avec la tyrannie des mots.

Nous progressons, c’est manifeste, puisque nous venons de trouver la trame de notre récit : c’est une histoire d’évasion, de fuite en deçà ou au-delà du vide, qu’importe puisque c’est là que les faits et les personnages les plus marquants habitent. On ne sait plus très bien finalement qui doit la raconter cette histoire. En fin de compte, le lecteur n’est pas dupe. Gardons en mémoire que son intention à lui aussi est bien de s’échapper, d’une façon ou d’un autre, si possible à la première personne, du moins par le biais de quelques subterfuges, toujours au présent, éventuellement, incomplètement peut-être, au conditionnel ou à l’imparfait du subjectif.

Pour faciliter les choses, pour aider aussi les lecteurs novices - on ne peut exiger de tous la même capacité de détachement - nous déterminerons aujourd’hui que c’est le je convivial et ludique qui décidera, que l’histoire ne se contera pas d’elle-même, que les faits, malgré l’autonomie et l’obstination qui les caractérisent habituellement ne décideront cette fois rien à part, et que notre intrigue sera donc une question bien personnelle dans laquelle chacun, selon ses moyens et son bon vouloir - encore une fois on lira bien ce que l’on voudra - pourra se retrouver, s’identifier et s’échapper doublement, une première fois à travers sa propre lecture, une seconde à travers l’écriture du narrateur...

Je suis sur le palier du cinquième, assis sur la rambarde de l’escalier, hésitant entre la nécessité de monter ou le besoin de descendre un étage. Vous trouverez cela peut-être saugrenu de commencer ainsi une histoire. Je vous rappelle, même si vous en êtes les lecteurs, que cette histoire est la mienne. Je la commence comme bon me semble et il se trouve qu’en cet instant précis où j’écris ces phrases et qu’apparaissent ces mots, rien ne me réjouit plus de croire que mon histoire puisse ainsi débuter, au cinquième étage d’un immeuble bourgeois et cossu du dix-septième arrondissement de Paris.

Le cinquième étage me permettra d’abord de prendre une relative hauteur sur les évènements, d’envisager avec sérénité le panorama des faits qu’il me faudra bientôt vous exposer ; il me garantira un certain détachement, de la légèreté à mon propos, comme une exquise, une sublime absence en des circonstances où l’arrogance et les certitudes sont habituellement de mise. Quand on commence une histoire on sait toujours en effet de quoi l’on va parler. C’est du moins comme cela que les choses se passent normalement. On a un sacré avantage sur ceux qui nous écoutent ou nous lisent. Eux sont dans la plus grande expectative. Bien souvent d’ailleurs, le conteur rit de cette position qui est la sienne. Il sait la force de ses arguments. Il est persuadé de la solidité du suspens qu’il entretient. C’est dit-on ce qui caractérise un récit de qualité. On éprouve parfois un sournois plaisir à en dérouler le fil avec malice, à ne révéler que ce que l’on veut de la trame que l’on connait déjà. Ou bien, au contraire, on étale tout d’un bloc, comme cela, sans aucune pudeur, sans la moindre crainte. Tout est une question de jeu, d’effets de manche. Raconter une histoire - mieux ! L’écrire - c’est jouer avec les mots et les silences.

Mon histoire à moi sera différente. Elle se racontera toute seule. Elle fera ce qu’il faut pour cela. Moi, je ne serai en quelque sorte qu’un intermédiaire, un faire-valoir. Je n’aurai aucun contrôle sur elle et tant bien même parviendrais-je à prévoir quelques rebondissements, je me garderai bien de vous en parler. Je veux laisser toute son autonomie au récit, lui garantir son exclusivité, n’être que son complice, son intermédiaire, un simple révélateur.

Cela, sans doute, en surprendra plus d’un. Mais c’est ainsi. Je n’y peux rien. Lorsque j’écris, ce sont les mots qui commandent, pas moi. Ils ont une existence qui leur est propre. D’ailleurs, je ne sais même pas d’où ils me viennent et lorsque, à l’occasion, je reviens sur une page déjà noircie, il m’arrive de me demander si c’est bien moi qui aie écrit ce que je viens de lire.

J’entends déjà certains commentaires. On m’estimera fou ou arrogant. On trouvera de la suffisance dans mes propos. Je ne pourrais pourtant avoir une attitude plus sensée ou plus neutre envers ce que je considère mon travail. Je n’invente rien, je mets en forme. Les inventeurs eux ont un certain génie qui me fait défaut. Ils innovent, ils créent la langue, ils jouent avec elle, manipulent des mots dont ils aménagent la luminosité et les zones d’ombres. Rimbaud, Céline, Tournier ne sont pas des auteurs mais des magiciens. Ils nous permettent d’accéder à un niveau de conscience que nous ne soupçonnions pas. Je me contente en ce qui me concerne de coucher les mots les plus ordinaires - ceux qui s’inventent une existence dans mon quotidien - et si je reconnais les faire vibrer parfois de rythmes, de sonorités différentes - le lecteur sans doute ne s’attendait pas à les prendre ainsi en pleine gueule - c’est en fait une sorte d’artifice de ma part. C’est une marge de manœuvre très mince qui m’est réservée - en fin de compte je ne suis pas une machine et ai outrepassé la culpabilité du simple dictaphone - car en mettant ainsi en scène des sentiments et des déchirements dont je semble en apparence m’indifférer, il s’agit toujours d’une part d’intimité qui m’échappe par inadvertance. Je souffre autant de la voir révélée que l’on s’indispose à écouter les réprimandes d’un parent proche. Je m’en plains comme vous réclameriez vous-mêmes à voir vos travers ainsi exposés sur la place publique. Reconnaissez-le ! Les mots qui me viennent ne sont pas si différents des vôtres.

L’altitude, c’est indéniable, garantie une luminosité que les premiers étages ou les sous-sols perdent nécessairement. Il y a certes dans les lumières tamisées, dans les contre jours aussi, une infinité de possibilités, de scénarios éventuels, souvent même de mystères insondables. C’est dans l’obscurité que les vérités inavouables se tapissent, elles et leurs petits détails scabreux rajoutant une touche pimentée à quelques banalités vulgaires qui sinon nous ennuieraient. Pourtant on n’en sort jamais. Même la pire des dégueulasseries devra forcément péter au grand jour pour retenir l’attention du lecteur. On dit que c’est un truc de grand romancier de savoir illuminer même le plus obscur, de savoir diriger le projecteur là où il le faut, juste pour capter l’attention. Comme je suis loin d’être une pointure de l’écriture, je me suis résolu à situer l’action de mon drame à un cinquième étage sans ascenseur.

Un cinquième étage sans élévateur c’est en sorte un hall de gare. Il s’y passe nécessairement quelque sorte. Il y a de la lumière puisqu’on a délibérément choisi un immeuble dont la cage d’escalier est orientée vers le sud. Il y a du passage puisque forcément aussi l’immeuble compte au moins dix bons étages. Vous voyez que j’ai pensé aux détails ! Alors on monte ou descend, et quoique l’on décide, il se passera quelque chose.

Tiens ! En causant nous voila éclairé sur une autre composante essentielle d’un texte. On a déjà découvert qu’écrire est une question de fuite, d’évasion et que cette liberté chèrement conquise nous aide à nous affranchir d’une peine nous retenant, nous ligotant à sa soeur jumelle , l’ennui . Voilà des broutilles, des circonstances, qui nous y feront parvenir à moindre coût. Dans la vie courante les cages d’escalier n’ont rien d’extraordinaires. Elles sont infiniment tristes et désertes, quand elles ne sont pas orientées vers le nord, vers le manque d’imagination, là où il n’y a rien à rajouter, même par écrit. Voyez comment de petites touches changent l’essence des choses ! Surtout celle des escaliers et des ascenseurs inexistants.

J’ai par ailleurs décidé en ce qui me concerne de descendre ces marches pour me diriger vers une petite place qui jouxte mon immeuble et où je sais que je trouverai quelques circonstances atténuantes.

Vous aurez remarqué que je parle à la première personne. Encore un artifice, un subterfuge d’auteur. Il faut aussi à celui-ci une franche aptitude à se mettre dans la peau des autres, dans celle de ses héros, de son personnage principal, pour parvenir à en extraire toute la substantifique moelle. Jusqu’à quel point en quelque sorte le romancier n’est il pas un peu de ces comédiens qui endossent des peaux successives, avec plus ou moins de réussite, mais qui, exsangues, ne savent plus très bien qui ils sont, une fois revenus dans les coulisses. L’auteur serait ainsi un acteur muet, donc incapable de grimper sur les planches, mais suffisamment fécond et riches en personnalités pour briller au mieux de toutes les facettes des créatures dont il s’approprie l’existence. Il lui faut vivre pour lui et pour les autres. Parfois le Je est inévitable. Il se transforme même en jeu souhaitable pour confondre mieux encore le lecteur. Dès que ce dernier se décide à passer la première page, le tour est joué...(à suivre)

xaba

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